au fond à droite: Coline Serreau
SADDAM HUSSERL: COUCOU
COLIN TREVORROW: C’est vous Time Magazine?
SH: Oui.
CT: Très bien, je vous écoute.
SH: Vous n’avez pas honte?
CT: Si.
SH: On est d’accord.
CT: Oui. Jurassic World est très mauvais. Je l’ai fait pour l’argent.
SH: Vous confirmez?
CT: Oui, oui.
SH (à part): Mdr, ça va buzzer sa race.
CT: Steven Spielberg, que je n’aime pas beaucoup, m’a payé très cher. Comme je rêve de posséder des objets comme des canapés en riz et des téléviseurs en peau de mufle, je n’ai pas hésité une seconde.
SH: Les dinosaures ne vous intéressent pas?
CT: Si, bien sûr. Je suis un grand fan de Jurassic Park.
SH: Mais alors, pourquoi l’avoir souillé avec un film rempli de dinosaures et qui, de surcroît, se passe dans un parc? C’est choquant.
CT: Je sais. Au début, je voulais raconter l’histoire d’un parc à dinosaures avant l’ouverture duquel seraient invités quatre ou cinq spécialistes, dont le premier serait joué par Jeff Goldblum et tous les autres par Laura Dern, et au bout d’une heure un gros dinosaure mangerait un comptable debout contre un urinoir, et à la fin il y aurait un combat de dinosaures. Mais Steven [Spielberg, ndlr] m’a dit que ça ne rapporterait pas assez de pognon.
SH: Quelles relations avez-vous avec Steven Spielberg?
CT: J’aime beaucoup ses vieux films. Tout ce qu’il a fait récemment, je trouve ça nul. En particulier Indiana Jones 4, qui est si bête qu’il en est presque nazi. Steven Spielberg était meilleur quand il était moins vieux. Maintenant, on dirait qu’il essaie de faire des films pour se faire de l’argent, rien d’autre. C’est dommage. Mais je ne vais pas lui jeter la pierre, je suis comme lui!
SH: Avez-vous pensé à vous adresser à des fans de la saga avant de vous mettre au travail?
CT: Oui. Je veux dire, j’aime le film original, mais je n’y connais rien. Je l’ai regardé un nombre incalculable de fois, mais à chaque fois, je m’endormais!
SH: Et donc?
CT: Les fans voulaient voir des dinosaures, un peu des anciens, un peu des nouveaux, ils voulaient des personnages développés et surtout, surtout pas de méta-texte (ils avaient détesté la mise en abyme du premier épisode), ou alors quelque chose d’explicitement intelligent qui leur permettrait de briller en société. Nous avons envisagé de demander des conseil à David Lynch, mais nous nous sommes rendu compte que nous nous ferions du pognon de toutes façons, donc nous avons fait le film sans recourir à quelqu’un d’intelligent.
SH: Nous ne nous sommes pas donné la peine de vérifier, mais il n’y a absolument aucun animatronique dans ce film. Avez-vous fait le choix d’utiliser un maximum d’images par ordinateur?
CT: Non, rien n’a été choisi sur ce film. Nous sommes vraiment tous bêtes. D’ailleurs au début tous les animaux devaient être des robots, parce qu’il n’y a que ça de vrai. Mais après des mois de tentatives pour faire sauter le mosasaure animatronique [une poule, ndlr] hors de l’eau, et constatant que le tyrannosaure était moins crédible quand il était animé par des figurants acrobates népalais sous-payés dans un costume, nous avons choisi de recourir aux ordinateurs. Après cette décision, chaque membre de l’équipe s’est flagellé pendant trois jours et trois nuits avec des fouets lestés de métal spécialement fabriqués pour le film, avec le logo sur le manche.
SH: Vous aviez conscience de trahir l’original en faisant cela?
CT: Bien-sûr.
SH: Parlons des personnages. Pourquoi ne pas les avoir plus développés? On dirait qu’ils ne sont là que pour permettre au public de voir des dinosaures. Pas de dialogue intéressant, aucun trait d’esprit, aucune personnalité… Le héros est banal, l’héroïne est banale, ma vie c’est de la merde…
CT: C’est vrai. Nous avons fait en sorte que les personnages soient tous uniformes, de manière à ce que le public ne les distingue pas. C’est pour cette raison que le patron du parc est joué par un quignon de pain, que l’héroïne est jouée par une actrice porno prise au hasard sur google, le héros par Kévin Kline, et que les enfants sont des jumeaux singes sur lesquels on a mis des prothèses en latex pour les faire ressembler aux enfants du premier film. Nous avons également réengagé le mec qui jouait Nedry pour tenir le rôle des ingénieurs. Eddie Murphy surjoue le sidekick noir de service, et nous avons également engagé quelqu’un de gros pour jouer le méchant.
SH: Sur ce point, vous êtes fidèle à l’original.
CT: Peu importe. Ce qui comptait, c’était que ces personnages n’aient aucun fond et ne soient là que pour attirer des dinosaures. Par exemple, le gros n’a aucune ligne de dialogue intelligible. Toutes ses répliques sont constituées de consonnes et de voyelles assemblées au hasard. Même chose avec le Noir. Tout ce qu’il dit est idiot et dénué d’intérêt, notamment lorsqu’il parle des vélociraptors. A chaque fois, c’est comme si ces personnages ne disaient rien. C’était très important à nos yeux.
SH: Le personnage féminin est le résultat de clichés sexistes assez choquants.
CT: Ouais, j’avoue!!
SH: Pourquoi avoir représenté ce baiser entre un homme et une femme? Pourquoi ne pas avoir fait exactement comme dans le premier film?
CT: C’est mon côté réac. J’adore voir des hommes et des femmes s’embrasser dans de bonnes conditions.
SH: Pourquoi ne pas avoir représenté deux transsexuels, ou un transsexuel et un hétérosexuel, ou un Noir et un Arabe, ou une caricature de Mahomet et un avion, ou trois pancakes et un lapin, ou plusieurs hommes, comme dans L’Inconnu du Lac, de Bernard Guiraudie?
CT: Ce cinéma-là ne m’intéresse pas. Moi, ce que je veux, c’est représenter des hommes et des femmes, et montrer que l’homme arrive toujours à pécho la femme qu’il convoite. Et tant pis pour le militantisme LGBT qui est, depuis le début, l’un des thèmes centraux de la saga. J’espère aussi que mon film a montré que les femmes étaient faibles et stupides, car j’y crois beaucoup.
SH: ??? Vous êtes sérieux là???
CT: Oui, oui. J’ai toujours regretté que le film qui a bercé mon enfance représente une femme forte et indépendante [le Professeur Grandt, ndlr]. Pourquoi le Professeur Malcolm n’arrive-t-il pas à la pécho? C’est un scandale.
SH: Pourquoi ne pas avoir essayé d’insuffler un peu d’âme à votre film?
CT: Vous savez, nous sommes en 2015! Aujourd’hui, tous les blockbusters sont de grosses machines à faire du fric, rien d’autre. Même Mad Max Fury Road, qui est un bon film, a rapporté beaucoup d’argent, étant donc de la merde. Donc moi, je fais un film pour faire du fric, sans émerveillement, sans rien. D’ailleurs, à aucun moment on ne prend de plaisir devant mon film. Ma technique est la suivante: faire de la merde, puis montrer un dinosaure qui rugit à la fin pour que les gens, qui sont tous cons, aient envie de dire à leurs copains d’aller payer leur place parce que c’est chouette de voir des dinosaures rugir.
SH: Vous avez choisi de réemployer la musique de John Williams. Pourquoi?
CT: Là encore, « choisi » est un bien grand mot, compte tenu du fait que je ne suis qu’une marionnette piochée au hasard par les responsables financiers des grands studios hollywoodiens. A la base j’ai une formation de chien d’aveugle, vous savez. Pour la musique, disons que nous avons préféré la solution de facilité la plus absurde et la moins cohérente.
SH: Vous pouvez préciser?
CT: Eh bien, au début, on s’est dit que ce serait peut-être cohérent d’utiliser le thème comme un jingle, au début du film. Mais après coup on s’est dit qu’on s’en foutait. C’était juste plus confortable. D’ailleurs nous avons engagé un mauvais compositeur sans intérêt, connu pour composer des morceaux sans caractère et dont tout le monde se fout. Honnêtement, qui s’intéresse à la musique dans Jurassic World? D’autant que nous nous en servons vraiment au hasard!
SH: Vraiment?
CT: Oui. Beaucoup de choses dans Jurassic World ont été laissées au hasard. On savait juste qu’il fallait qu’il y ait beaucoup de fausses images (il y en a près de cinq fois plus que dans Mad Max 4, réalisé à l’ancienne, ce dont nous sommes très fiers!)
SH: D’accord.
CT: Je hais les dinosaures. Je hais le cinéma. Je veux tout détruire.
SH: Ah à ce point?
CT: Oui. C’est pour ça que tout est faux dans mon film et que les scènes d’actions sont laides. D’ailleurs il n’y a aucune idée de mise en scène, jamais. Tout est filmé à la one again! En fait, je me suis fait un milliard de dollars en cliquant sur play.
SH: Play sur quoi?
CT: Un logiciel magique élaboré par Satan. Vous entrez « pognon + dinosaures + public con » et ça vous sort un film automatiquement. De nombreux films sont réalisés comme ça aujourd’hui. Mégashark vs Crocosaurus (notre référence), Comment j’ai pas mangé mon père, Les Profs 2… c’est la plus grande avancée technologique de l’histoire du cinéma. Plus besoin d’humains! Tout se fait tout seul!
SH: Vous voulez dire que Steven Spielberg…
CT: Est une mouffette? Oui.
SH: #choker
CT: C’est bon, c’est fini?
SH: Oui… Une dernière question. Pensez-vous tourner une suite?
CT: Bien-sûr! J’ai envie d’amasser un max de blé pour m’acheter une piscine à viande et du PQ incrusté de diamants. C’est pour ça qu’il ne se passe rien dans le film. Je tenais à me laisser la possibilité de réaliser exactement le même film dans deux ou trois ans.
SH: Bon, je crois qu’on a fait le tour.
CT: J’ai oublié de préciser que je n’avais absolument aucune opinion sur le rapport de l’homme à la nature, que tout ce que vous voyez dans mon film a déjà été fait ailleurs et en mieux, et que j’ai mis des talons à mon héroïne parce que je pense que les femmes devraient toujours porter des talons.
SH: Ok…
CT: Ah oui et j’aime beaucoup Ségolène Royal.
SH: Hein?
CT: Fais pas le malin.
(Nous avons raccroché).
SH: #choker
Propos recueillis par Skype le 15 juin 2015, dans les studios Universal de Los Angeles.